kodoku na sora wo miageru no ; itah sanada.

Pourquoi es-tu toujours là alors que je t'ai demandé de fuir, de déguerpir? Tu me hantes. Quand je ferme les yeux, ton image se dessine sous mes paupières et je souris. Je n'ai pas voulu ça, comme je n'ai pas voulu te blesser. Non, ne pleurs pas, regarde moi. Je suis désolé, tu entends? Je m'excuse. Mon coeur a que trop longtemps souffert et aujourd'hui, il souffre de trop aimer. Ne rougis pas, ce n'est pas une flatterie, mais la vérité, et je m'en veux de m'être fait avoir dès le premier regard. C'est quelque chose de stupide, tu ne crois pas, que de tomber amoureux quand on a un coeur en panne? Tu me fais mal, mal à en crever. Quand je me lève, mes crampes me rappellent combien je suis mortel, et que je ne devrais prendre mon temps à t'attendre, mais ma raison, plus forte et plus dominante, me dit de ne pas te forcer, de ne pas chercher à t'aimer, pas plus, sinon j'en mourrais. Meurt-on d'amour...? On en pleur. Je n'ai jamais pleuré, vraiment, ou tout du moins mon inconscient me l'omet. Je ne te blâme pas, non, je me rend juste compte que quand ma main descend vers mon bas ventre dans les nuits que je ne partage jamais avec personne, des larmes de haine, de colère, de souffrance, me noient les joues. Mais, est-ce vraiment ta faute...? Ce serait humain de dire que oui, que c'est de ta faute, mais soyons réalistes.
C'est moi qui t'aime.

La lame fila dans l'air dans un silence complet. Akiyoshi avait cet art dans le sang, et le kendo n'était plus un secret pour cet homme. Ses six fils la regardaient, en combinaison, assis sur un petit muret. Dans leurs yeux, on voyait l'admiration, et chaque jour, cette flamme secrète au fond de leurs cœurs grandissait et bientôt, cette flamme prendrait la forme d'un esprit puissant, d'un Tama. La lame s'éleva dans l'air et s'abattit verticalement, effleurant les lattes du plancher. L'espace que venait de trancher la lame s'ouvrit dans un éclair bleu qui retomba sous forme d'eau sur le sol. A la place de l'éclair, comme sortant d'un univers différent, était apparu une sorte de carpe lumineuse. Elle volait au dessus du sol. Ses écailles blanches et rouges rappelaient à l'esprit des jeunes enfants les carpes japonaises, les Koï. L'esprit qui habitait le sabre d'Akiyoshi Sanada était en effet une Koï Kohaku, une variété de carpe japonaise blanche à tâches rouge. Quand les carpes n'avaient qu'une tâche sur la tête, elles étaient dîtes Tancho, et se reprochait alors de la Grue du Japon. Mais les six bambins, de cinq à dix ans le savaient déjà depuis quelques années. Akiyoshi fixa la carpe qui, derrière elle, laissait une emprunte ambrée, comme si de la poussière d'étoile tombait de ses écailles. Il la salua, faisant une révérence rigide, et la carpe disparu au grès de la bise, soufflait en fines particules d'ambre et d'or. Le regard du Père se fit plus dur. Il rengaina son katana dans le fourreau et se tourna vers ses enfants qui se levèrent tous, formant une ligne presque parfaite au centre du dojo. Son regard était ferme, froid, sévère. Devant lui, les enfants formaient une diagonale parfaite avec leurs têtes brunes. Aucune fille dans le dojo, comme si jusqu'à la fin de sa vie, Nanami n'aurait accès à la longue lignée des Magies des Lames. Mais Akiyoshi n'en avait certainement rien à faire, pas plus qu'il n'aimait voir son quatrième et son cinquième enfant fait mouver des objets sans les toucher. Il montra du doigt l'aîné et ce dernier s'avança de deux pas, se retrouvant seul entre ses frères et son père. Il fit une révérence et, ses yeux fixant les lattes de bois du dojo, il s'exclama à voix haute, déclinant son identité comme une machine que trop bien réglait :

« Takeshi! Sanada Ichiro! Premier Fils, Héritier de, Suiteki, Sanada Akiyoshi! »

Il se redressa et sortit son katana. Il était plus court mais aussi plus léger pour l'enfant qu'il était. Bien tôt, il aurait treize ans, et il aurait droit à son vrai katana, celui qui libérerait son vrai Tama, le définitif, mais aussi la forme la plus puissante qu'il aurait. Pour l'instant, le Tama n'avait pas un nom mais un descriptif brut jusqu'au moment où il s'apparenterait à quelque chose de précis. Le Tama d'Akiyoshi avait commencé par n'être qu'un vulgaire poisson d'eau douce, et au final, il se retrouvait être une Carpe Japonaise, signe de l'eau par excellence au pays du riz. Ichiro, lui, était du signe de la nature. Dès son plus jeune âge, il avait eu un don particulier avec les fleurs et s'occupait d'ailleurs régulièrement du potager, dans un ultime effort pour garder encore en vie les roses de sa mère, aujourd'hui disparue. Il inspira longuement, leva son arme et la rabattit, enchaînant les coups avec rapidité et dextérité. Chacun de ses coups formaient une danse maladroite mais magnifique pour un œil non aguerrit. Il trancha l'air et sa lame se planta malheureusement dans le bois du dojo. Il enleva à la va vite son arme et du trou, un éclair cuivré déchira l'air, bruyant cette fois-ci. Une forme vaporeuse fit son apparition, tournoya sur elle même, se leva sur deux pattes, hurla, et disparu dans la bise. Akiyoshi eut un sourire satisfait. Ichiro fit une révérence et se remit en place. Alors que le cadet, Etsuzaku dit Yô, Akiyoshi pointa du doigt son quatrième fils avec un sourire crispé, forcé. Itah releva les yeux, surpris, et s'avança. Des garçons, il était le plus doué, mais aussi le plus intelligent, et ses qualités allaient de paire avec une malédiction datant de six ans déjà, une malédiction qui couvait sous son toit. Le quatrième enfant se raidit et fit une révérence, une rare droiture, et dit à voix haute, mais d'une voix monocorde et peu criarde :

« Yukimura. Sanada Itah, Quatrième Fils de Sanada Akiyoshi. »

Il se redressa doucement et dégaina la lame. Contrairement à celle des autres, celle d'Itah était plus vieille, et l'on disait même qu'elle avait appartenu au vrai Sanada Yukimura, chef du Clan Sanada, ayant donné sa vie pour le Japon et devenant ainsi l'un des plus grands héros de son siècle. C'était sans doute faux. La lame était certes longue, elle était alors légère. Il la leva avec une facilité déconcertante, trouvant le poids du fer facile à manier. Il recula le pieds et se mit à faire un enchaînement rapide, vif et précis, la lame touchant dans l'air des poids précis, formant une danse magnifique et gracieuse. Itah ne se battait pas, il dansait. Il avait fermé les yeux et cherchait quels points, dans son esprit, formerait la meilleur attaque, quelles formes iraient ils découper avec cette lame qui ne coupait plus depuis déjà des siècles. Il eut un sourire satisfait en tranchant l'air très rapidement avec une attaque horizontale. Rengainant aussitôt son katana, une fissure s'était formée dans l'air, et de cette dernière s'y était extirpée une volute de fumée argentée. Rapidement pourtant, la fumée se dissipa pour faire apparaître, lumineux, un animal de la taille d'une jeune panthère, portant sur elle trois couleurs : blanche, noire et rousse. Deux longues queues se dessinaient derrière elle, ondulant doucement. L'animal ressemblait à un chat, malgré les deux longues queues et deux grands yeux noirs sans pupilles. L'animal miaula et éclata en une centaine de petit grain argentée. Itah était resté droit et fit une dernière révérence, tournant son regard vers son père. Ce dernier n'avait pas bougé. Un tel exploit, avec un si petit katana et... il resta de marbre et sa main montra la porte. Tout le monde sortit, il comprit Itah qui ne savait plus vraiment si ce qu'il avait fait été bien, ou au contraire, mal. Il ferma les yeux et resta derrière la porte. De l'autre côté, Akiyoshi regardait le vide. Les grains argentés avaient disparu comme poussière au vent. Ce qu'il avait invoqué était... soit un Manekineko, soit un Bakeneko... ou pire encore, un Nekomata. Akiyoshi ferma les yeux et soupira profondément. Il n'en aurait donc jamais fini avec ce fils maudit?